samedi 12 janvier 2008

Chapeau bas, monsieur Nacer Khemir

Je commence d'abord par un Erratum:
Hier soir, ce n'était pas la projection des "Baliseurs du désert" mais de "l'histoire du pays du bon Dieu", le premier film de Nacer Khemir.

Hier soir, la salle était moins dégarnie que la veille.
Mis à part le personnage grotesque assis au fond de la salle, qui n'a pas arrêté de roter tout au long de la projection...tout le monde a visionné le premier film de Nacer Khemir comme on mange un délicieux gâteau dont on ne veut perdre aucune miette.

A la fin du film, certains lui ont posé des questions sur ses films en général, sur son surnom de "cinéaste utopique"...

Je pense que ceux qui le taxent d'utopique n'ont rien compris ou du moins n'ont pas saisi le sens des métaphores qui jonchent ses films.
Dans "l'histoire du pays du bon Dieu", ce jeune homme chétif qui erre dans les couloirs sans fin, qui cherche la sortie et qui rencontre un vigile qui lui dit: "Si tu veux trouver la sortie, lis le journal"...
Le jeune homme s'exécute, prend le journal du jour et le feuillète par terre, où s'accumulent les journaux que d'autres avant lui auraient probablement feuilleté cherchant la sortie...


Absurde, incensé, sans queue ni tête me diriez-vous?
Pas du tout.
Cette scène est une métaphore qu'on pourrait interpréter infiniment.
Chacun d'entre nous pourrait y voir un message, y trouver un sens qui sera le sien.
Cette scène est totalement atemporelle (comme le film de Baba Aziz d'ailleurs).
Elle date des années 60 et pourtant elle pourrait évoquer des réalités , des sujets d'actualité, d'aujourd'hui, en 2008.
Personnellement, j'y vois le désarroi des jeunes cherchant à tout prix à quitter le pays, cherchant la sortie, rêvant d'une vie meilleure de l'autre côté de la rive..et qui errent dans les rues (ou dans les couloirs).
Ils lisent le journal (ou surfent sur le net) pour y trouver une offre d'emploi, une porte de sortie.


Pas si utopique que ça finalement.
Il suffit de faire un peu plus d'effort qu'en regardant un nième film commercial américain où il n'y a rien à interpréter, aucun effort à fournir.
Consommer son film comme on consomme son pop corn.



Le génie de Nacer Khemir réside dans le fait qu'il fait des films atemporels, qui traversent les années sans prendre une ride, qui sont porteurs de messages universels, profonds..sans en avoir l'air, en improvisant, avec les moyens du bord.



Enfin, pour l'anecdote, ce film est né d'un concours de circonstances et avec très très peu de moyens: Nacer Khemir a pu dégoter une des 4 caméras qui devaient circuler dans tout le pays à l'époque, une Estaffette et 1000 litres de carburant.
C'est tout.
Il devait préparer un reportage au début, et finalement il s'est retrouvé à faire un film.
Pas d'acteurs: le jeune homme chétif c'est lui et le reste des personnages ont tourné quelques scènes sans savoir qu'il s'agissait d'un film.

A la question: "Si on vous donnait l'occasion de refaire le film aujourd'hui, que changeriez-vous?" , il a répondu: "Aujourd'hui, je ne referai pas ce film, et je ne pourrai plus jamais refaire ce film, car l'homme que je suis aujourd'hui n'est plus l'homme que j'étais dans les années 60. L'homme change, évolue, je n'ai ni les mêmes connaissances que j'avais à l'époque, ni les mêmes moyens...tout a changé".

Et à la question: "Que vous évoque ce film, 32 ans plus tard?" il a répondu: "Rien, mis à part une scène où une jeune femme apparaît à l'écran et qui me rappelle quelques souvenirs personnels, il n'évoque rien en moi. Je n'ai pas pour habitude de regarder en arrière, j'ai la chance d'être toujours tiré vers l'avant par mes nombreux projets. Je n'ai pas le temps de regarder en arrière."

Chapeau bas, monsieur Nacer Khemir.